mar. 3 2009
"Racler, gratter, frotter"
Dimanche 26.10.08 ; 15h ; Parc de Bercy
Appel à participation
« Racler, gratter, frotter»
La séance se déroulera, après quelques gammes organiques1, en quatre improvisations2 autour du thème « racler, gratter, frotter ».
Libre à chacun d’amener à sa guise instruments de musique, partitions, images, textes, cds, objets, matériau, outils, etc en rapport avec la thématique.
Merci de confirmer votre venue.
1 Une gamme organique est composée de sept sons, sept mouvements, sept bruits, sept cris, sept son+geste, sept silences ou sept autres choses … Il n’y a rien à montrer, juste faire consciencieusement des gammes ensemble pour chauffer les corps, les instruments, les lieux.
2 L’improvisation est « libre » dans le thème, c’est-à-dire heureuse, curieuse mais aussi dans le respect de chaque personne et de chaque chose, à l’écoute. Chacun peut sortir ou entrer dans l’« espace de jeu » lorsqu’il le souhaite.
Compte-rendu
Dimanche gris ; emportées par le vent, les feuilles frottent le sol. Nous échappons par chance à la pluie.
Frotter, frictionner, froisser, nettoyer, racler, gratter, polir, poncer, astiquer, brosser, encaustiquer, éroder, essuyer ; ainsi s’assouvirent les élans maniaques de quatre personnes en quête d’habiter un espace public un dimanche après-midi d’octobre.
Etaient présents : Ludmilla Dabo, Simon Gauchet, Pénélope Laurent-Noye, Prune Bécheau
Nous débutons par quelques gammes organiques ; le frottement d’un archet et les corps se mettent en voix. Fragments polyphoniques en mouvement. Occupation un peu timide de l’espace. Chacun s’échauffe ce qu’il veut, improvise avec « ce qu’il sait faire » : faut-il diriger plus l’échauffement, afin d’ouvrir à chacun d’autres horizons ?
On commence ensuite le nettoyage :
- D’abord nos corps. On se frictionne la peau : jambes, main, bras, tête, doigts, genoux, tibias, avant-bras, poitrine, coude, etc
(dommage nous avons oublié de nettoyer nos voix, de frotter nos cordes vocales)
- Puis notre espace, afin de pouvoir l’habiter : le muret, le sol, l’air.
Une fois que l’espace est habitable, quelques intrus viennent perturber l’espace : plusieurs objets insolites s’immiscent dans l’espace collectif ; ils sont si sales que chacun se doit de les nettoyer, de les astiquer, de se les approprier afin de servir ensuite au nettoyage collectif de l’espace. Tout est si sale, tout est frottable.
- Une boîte à œufs : manipulée délicatement par quelques doigts, on souffle dessus, on gratte, on caresse. Elle vient se poser sur un corps et glisse jusqu’au sol. Puis les doigts se précipitent avec nervosité à la place des œufs et donnent naissance à une éponge collective, une sorte de monstre à doigts qui se contracte et se rétracte de temps en temps. Le travail collectif révèle ses difficultés, les doigts dissèquent la boîte, formant dès lors plusieurs éponges individuelles.
- Une brosse à cheveux, un bout de chaise.
- Un amas de fer à gratter, de la ferraille à racler : un rapoir à légumes, des balais (de batterie), des cintres (sonnent-ils si on les frotte avec un archet ?).
- Trois pierres (pour quatre personnes, ha ha ha).
- Un couvercle en fer, si fragile que nos voix seules osent l’aborder pour commencer. Le dessus de plat se réveille, s’étire, ramasse une pierre en son sein et part se balader. Quelques embûches sur son passage – pieds, mains - lui font perdre sa pierre, mais il ne tarde pas à la récupérer avant de poursuivre sa balade. Une fois au loin se sent si seul qu’il demande conseil au balai-baguette qu’il aperçoit au loin. La baguette le guide alors, lui préconise d’aller plutôt à droite qu’à gauche, de bien nettoyer son chemin pour réussir à mener à bien ses projets. Et hop, ils se séparent.
Dernière improvisation :
- pour quatre personnes, trois archets, un violon. Le violon est encerclé de bienveillance, caressé, bichonné, dépoussiéré. Tapotements doux, pizzicati, raclements du vernis, légers frottements et il s’envole, dans un espace en trois dimensions : les archets se déploient dans le temps et dans l’espace généreusement. Les coordonnées se croisent et dialoguent : les abscisses et les ordonnées se répondent. Les mouvements géométriques complexes qui se dessinent dans l’espace sont plein de grâce – de crasse- chacun d’entre nous est surpris à chaque instant par les formes qui se dessinent au dessus de l’instrument.
Ce sont eux peut-être qui nettoyé de façon la plus efficace l’espace sonore : les sons se croisent aussi et une musique « organique » - peut-être ? - en découle. A travailler, développer. Faire un violon géant, et des archets géants pour rendre plus « perceptible » le dispositif visuel et sonore ? Révèle la nécessité d’ « objets sonores », c’est-à-dire qu’ils requièrent a priori des qualités sonores. Nécessité du volume, de la puissance sonores, surtout en plein air.
Nous manipulons chaque objet tous ensemble : d’un côté, cela donne de la force à l’objet qui bénéficie de l’attention de quatre personnes. D’un autre, l’action est centrée et donc quelque peu « repliée » sur elle-même, si bien que nous ignorons un homme qui nous interpelle : « Etes-vous en train de repailler une chaise ? » Comment aurait-on pu réagir ? Comment aurait-on dû réagir ? Il reste encore beaucoup de questions quant au rapport avec les passants.
Peut-être que s’enregistrer ou se filmer aurait impliqué un autre rapport à l’extérieur. Est-ce une « répétition publique », une « recherche en plein air », une « performance » ?
Différentes façons de nettoyer « efficacement » : plus ou moins vite, plus ou moins fort, d’un geste plus ou moins large, avec tout le corps, avec tout le bras. Différents types de surfaces qui influent sur le mouvement. Ampleur du geste moins fatiguant que petitesse et rapidité du geste mais ok pour le contraste.
Récurrence du mouvement courbe : notre espace se loge dans un muret de forme courbe, nous dessinons des volûtes dans l’air, le coude sert d’axe à notre avant-bras, le tronc sert d’axes à nos membres-éponges (les bras et les jambes dessinant des arcs de cercle).
Notre société bannit le gras, la crasse de nos corps, de nos maisons, de notre planète. Au fond, nous sommes d’accord : il y a un état originel et naturel « propre ». Mais ne faut-il pas penser aux moyens d’arrêter de salir plutôt que de passer notre temps à nettoyer ?
Pour l’avenir, je préconise de penser au rythme, à la musique, aux sons lorsque l’on se lave le corps, lorsque l’on fait la vaisselle, le ménage, lorsque l’on distribue des tracts contre le permis de polluer. D’une part, on s’amuse et s’étonne. D’autre part, on se fatigue moins. La musique encourage le travail, qui n’est plus « subi » comme un travail.
Remarque globale : il est difficile d’avoir pour seule action de « nettoyer ». On a tendance à ajouter à cette action la quête d’une production sonore. Or la musique est peut-être plus « vraie », plus « juste » lorsque l’action est autre que « faire de la musique ».
Il manquait peut-être une étape finale : chacun avec un objet ?